Des traces d’écriture sur des tablettes en bois apportent un nouvel éclairage sur la vie quotidienne à Tongres au temps des romains

15 septembre 2025

Le Musée gallo-romain de Tongres-Looz présente, en collaboration avec les éditions Brepols, The Writing Tablets of Roman Tongeren and Associated Wooden Finds, une publication consacrée aux recherches pionnières menées par une équipe d’experts internationaux sur 85 tablettes romaines en bois datant d’une période allant du Ier au IIIe siècle après J.-C. Certaines ont été découvertes il y a près d’un siècle.

Les recherches récentes ont mis au jour des traces d’écriture latine manuscrite. Ces traces apportent un éclairage unique sur la vie quotidienne à Atuatuca Tungrorum, la capitale de la civitas Tungrorum, circonscription administrative de la région aux premiers siècles de notre ère. Elles fournissent des informations qu’on ignorait encore sur la vie, l’administration, la religion et les institutions dans la plus ancienne ville romaine de Belgique.

Deux grands groupes de tablettes ont été conservés à Tongres : un premier composé de 73 exemplaires découverts dans les années 1930 dans une décharge romaine proche des sites de Broek(berg), non loin du temple romain, et un second comprenant 12 pièces découvertes en 2013 dans un puits désaffecté à l’époque romaine, près de la Beukenbergweg.

Au départ, les archéologues pensaient que les tablettes étaient vierges, mais un examen plus approfondi a mis au jour, il y a quelques années, des traces d’écriture bien nettes. Des analyses ont révélé qu’il s’agissait notamment de textes juridiques. Les tablettes comportaient aussi de nombreux noms de personnes et de fonctions politico-administratives, et témoignent également d’exercices d’écriture.

Les tablettes, couvertes d’une fine couche de cire, sur lesquelles on écrivait à l’aide d’un stylet, confirment littéralement le statut de Tongres au sein de l’Empire romain : elles attestent de l’existence d’archives municipales, d’une administration calquée sur le modèle romain et d’une population familiarisée très tôt avec les institutions et la législation.

Des incisions révélatrices

La cire utilisée par les Romains pour écrire sur les tablettes n’a, en général, pas été conservée. Mais certains scribes appuyaient tellement sur leur stylet qu’ils ont transpercé la couche de cire et rayé le bois. C’est le cas sur les tablettes étudiées.

En associant un éclairage latéral sous microscope et des techniques d’imagerie innovantes telles que la technologie Multi-Light Reflectance, une équipe d’experts a ainsi découvert toute une série de lettres, de chiffres et de symboles incisés, qu’elle a savamment déchiffrés.

Les chercheurs ont identifié, sur 37 tablettes, 47 surfaces munies de texte (recto et/ou verso) avec, çà et là, des couches de texte superposées. Si ces « palimpsestes » compliquent la lecture aujourd’hui, ils indiquent que les tablettes étaient réutilisées à l’époque romaine.

Droit romain et culte impérial

Comme leur forme l’indique, les tablettes du site de Broekberg font partie de triptyques (ensembles de trois tablettes) destinés à des documents à valeur juridique. Elles étaient conservées dans les archives officielles (tabularia). Leur contenu témoigne d’une présence précoce et forte de l’administration et du droit romains dans la ville. Il s’agit de procès-verbaux et d’actes juridiques mentionnant des noms de témoins ou des listes de membres, ainsi que de formulations, de procédures et de symboles romains officiels.
Une tablette mentionne le mot «usura » (intérêt), peut-être en référence à un prêt ou à une donation. Une autre contient une demande de pension introduite par un vétéran.
On trouve également des références à des cérémonies religieuses publiques en présence de prêtres et de magistrats, à la déesse Cérès, et peut-être au sacrifice d’un mouton.
Pour la première fois dans nos régions, on mentionne des fonctionnaires tels que les lictores (licteurs, qui escortaient les hauts magistrats), un decemvir (décemvir, un magistrat local) et des vigiles (pompiers/garde municipale/police) — des fonctions dont aucun texte ne signalait auparavant l’existence dans cette région.
La plupart des tablettes sont brisées : elles ont été délibérément déclassées et littéralement jetées. Certaines ont probablement été réutilisées pour des exercices d’écriture, comme en témoignent les nombreuses lettres O et Q identifiées par les scientifiques.

La plupart des tablettes découvertes sur la Beukenbergweg sont des tablettes simples ou font partie de diptyques (ensembles de deux). Elles évoquent le service militaire (par exemple, des certificats de démobilisation pour les marins de la classis Germanica, la flotte opérant sur le Rhin). Autre découverte notable : le texte « pour Antonius Pius Augustus, dans la dixième année de son tribunat », destiné être gravé sur la base d’une statue du futur empereur Caracalla (211-217 apr. J.-C.). Une découverte rarissime.

Des habitants et du bois d’autres régions

Ensemble, ces tablettes brossent le portrait d’une société complexe et (déjà à l’époque) multiculturelle. Elles contiennent, en effet, des noms d’origines diverses (latine, celtique, germanique). Les habitants parlaient le latin, le celtique et le germanique, mais utilisaient (uniquement) le latin comme langue écrite officielle.
Les noms reflètent aussi le statut personnel : les citoyens romains (qui disposaient de droits civiques) portaient deux noms, ce qui les distinguait des hommes libres qui ne jouissaient pas des droits civiques. Ceux-ci portaient un seul nom, parfois accompagné du nom de leur père et de leur grand-père.

Les recherches fournissent aussi des informations matérielles. Les tablettes étaient fabriquées en sapin blanc (Abies alba) : de fines planches étaient débitées par des artisans locaux à partir de restes de tonneaux de vin importés (puis vidés !). Les fouilles ont mis au jour des stylets (stili) et une peinture murale représentant un homme avec des tablettes, ce qui souligne la diffusion et le prestige de l’écriture dans la société urbaine.

Une expertise internationale

L’équipe de recherche internationale, dirigée par le Musée gallo-romain, regroupe des experts renommés.
Le Prof. Dr ém. Jürgen Blänsdorf (université Johannes-Gutenberg de Mayence, Allemagne) et le Prof. Dr Markus Scholz (université Johann Wolfgang Goethe de Francfort, Allemagne) ont examiné les incisions à peine visibles laissées par les stylets, tandis que le Prof. Dr ém. Lieve Watteeuw et le Dr Hendrik Hameeuw (KU Leuven) ont généré des images interactives.
L’analyse du bois a été réalisée par le Prof. Dr Koen Deforce (KBIN, UGent). Des scientifiques de la KU Leuven (le Dr Carlos Marquez, sous la direction du Prof. Dr Dirk De Vos) ont également analysé les résidus de cire. Annie Verbanck-Piérard (ULB) et Alain Vanderhoeven (MGR) ont replacé les tablettes dans leur contexte historique. Dirk Pauwels, archéologue de la ville, a reconstitué les sites de découverte originaux.
Le Prof. Dr ém. Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier et le Prof. Dr ém. Georges Raepsaet (tous deux de l’ULB) ont quant à eux analysé le contexte social et juridique plus large.

En hommage aux tablettes romaines : un livre superbe 

Toutes leurs conclusions sur les tablettes d’écriture et les objets en bois sont désormais compilées dans le livre The Writing Tablets of Roman Tongeren and Associated Wooden Finds, édité chez Brepols. Cette publication richement illustrée renferme des dessins archéologiques, des photographies de haute qualité, des transcriptions du latin manuscrit, des traductions et des interprétations en anglais. Aboutissement d’un long travail scientifique, cet ouvrage place résolument la collection de tablettes de Tongres et leur contenu unique parmi les ensembles de tablettes à écrire en bois les plus importants de l’Empire romain.

Informations sur la publication

La publication contient des transcriptions, des reconstructions numériques et de nombreux documents visuels concernant les tablettes en bois. Elle est désormais disponible dans des formats très accessibles (couverture souple, couverture rigide et libre accès).

Titre The Writing Tablets of Roman Tongeren (Belgium) and Associated Wooden Finds
Rédaction Else Hartoch
Avec la contribution de Blänsdorf J., Scholz M., Accardo S., Boudin M., Deforce K., De Vos D., Groetembril S., Hameeuw H., Hartoch E., Marquez C., Pauwels D., Raepsaet G., Raepsaet-Charlier M.-Th., Vanderhoeven A., Van Kersen V., Verbanck-Piérard A. & Watteeuw L.
Langue Anglais
Pages 424 (295 en couleur + 11 tableaux)
Formats Couverture rigide (ISBN 978‑2‑503‑61687‑2), e‑book en libre accès (ISBN 978‑2‑503‑61688‑9)
Éditeur Brepols, 2025

 

*Prix de vente :

Couverture rigide : 90 EUR (TVAC) – via Brepols
https://www.brepols.net/products/IS-9782503616872-1

Livre broché : 29 EUR (TVAC) – uniquement vendu dans la boutique du Musée gallo-romain

__________________________________________________________________________

Jo Feytons, bourgmestre : « Les tablettes du Musée gallo-romain nous rapprochent des habitants de l’époque. Elles évoquent la vie quotidienne, mais aussi l’administration politique de la ville et de la région au temps des Romains. C’est fascinant ! »

An Christiaens, échevine du Tourisme : « L’une des missions fondamentales d’un musée consiste à étudier sa collection. Le Musée gallo-romain a examiné ces tablettes romaines pendant plus de deux ans, en collaboration avec d’éminents spécialistes externes. Les résultats surpassent toutes les attentes. Nous avons intégré les principales conclusions dans notre exposition permanente. »

Alexander Sterkens, Managing Director Brepols Publishers : « Notre maison d’édition, qui a pour devise “Providing a Future for the Past” (offrir un avenir au passé), est fière de pouvoir présenter ces découvertes exceptionnelles à un public international, en collaboration avec le Musée gallo-romain. Fruit d’un étroit partenariat avec des scientifiques internationaux et de l’utilisation de technologies innovantes, ce livre constitue un ouvrage de référence qui intéressera tant le grand public que les spécialistes. La mise à disposition gratuite de la version électronique est une belle manière de rendre le patrimoine accessible à tous. »
_________________________________________________________________________

Informations complémentaires, interviews et visuels :

Else Hartoch
Musée gallo-romain
+3212670361 et +32478598827 / else.hartoch@galloromeinsmuseum.be

En savoir plus ?

Podcast De Archeotoog : https://www.youtube.com/watch?v=mfn2wATS39c

Site web du Musée gallo-romain : https://galloromeinsmuseum.be/fr/collection/romeinse-schrijftabletten/

Site web de Brepols : https://www.brepols.net/products/IS-9782503616872-1